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Le Guépard à Caracas
Un roman vénézuélien à grand succès brosse un portrait au vitriol de la « bourgeoisie bolivarienne » qui s’est si bien accommodée du chavisme.
Le Livre
« Il y a dans toute société une certaine dose de “guépardisme” », écrit la journaliste vénézuélienne Giuliana Chiappe dans les colonnes du quotidien El Universal, en référence au phénomène analysé par l’écrivain sicilien Giuseppe di Lampedusa dans son célèbre roman. Publié en 1958, Le Guépard décrit « la façon dont les individus s’adaptent – bien plus vite qu’on ne pense – aux changements de pouvoir, adhérant à ces nouveaux systèmes que, dans le fond, ils rejettent, mais dont ils cherchent à tirer avantage », explique Chiappe. Véritable métaphore de la crise politique qui secoue le Venezuela,Nosotros todos, premier roman de Manuel Acedo Sucre, avocat d’affaires de Caracas, est une version latino-américaine du Guépard, qui brosse le portrait d’une société marquée par quatorze années de chavisme. Sorti en novembre 2012, quelques mois avant le décès d’Hugo Chávez, l’ouvrage en est déjà à sa quatrième réimpression.
La structure du roman est conçue sur le mode d’une conjugaison verbale, dont les quatre chapitres décrivent successivement les personnages de « Moi, le banquier », « Toi, la dépravée », « Lui, l’opérateur » et « Nous tous ». « Moi, le banquier » est un riche Vénézuélien qui a émigré aux États-Unis dans les années 1990 et qui, « alors qu’il faisait partie du gratin de la finance mondiale, s’est mis en tête dix ans plus tard, en pleine Révolution bolivarienne, de rentrer au pays, pour mieux connaître le monstre de l’intérieur », rapporte Michelle Roche Rodríguez dans El Nacional. « Toi, la dépravée », pour sa part, « connaît la frustration depuis le jour où elle est entrée dans la très sélective école de Sœurs où ses parents l’avaient inscrite », poursuit El Nacional. Quant à « Lui, l’opérateur », c’est le dernier « rejeton d’une de ses vieilles familles ruinées de Caracas, prêt à tout pour l’argent ». Trois personnages qui incarnent, pour le romancier, autant de stéréotypes de cette classe moyenne qui survit à Caracas – vieilles familles et nouveaux riches confondus.
« Je voulais décrire cette “bolibourgeoisie”, cette bourgeoisie bolivarienne que le chavisme a engendrée », déclare l’auteur à El Universal : « Les arrivistes, les fonctionnaires complaisants qui profitent des circonstances politiques… Je voulais décrire comment tout cela fonctionne, comment se déroule le processus d’adaptation de certains groupes sociaux à la réalité que les Vénézuéliens vivent tous. » Car « moi, toi, lui » ne sont finalement que des émanations de ce « Nous tous » éponyme qui incarne, selon les mots mêmes de l’écrivain, « l’archétype d’une société trop accommodante, polymorphe, avide de consommation et d’argent facile ».